Commémoration du 11 novembre 2023

Chers concitoyens,

Nous sommes toujours moins nombreux à célébrer les journées nationales républicaines de commémoration; cette désertion se vérifie inexorablement lors des consultations électorales.
Selon Churchill, éminent compatriote de notre cafetier local « la démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres »
Notre République, démocratique, a sans doute bien des défauts et ses dirigeants sont en partie responsables d’une telle désaffection pour la chose publique ; mais nous-même, happés par une société consumériste dont le bénéfice le plus tangible est la production de déchets, qu’en est-il de notre engagement citoyen ?
Dés 1835, Alexis de Tocqueville anticipait que : « l’individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables de telle sorte qu’après s’être créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même »
Ne soyons pas dupes, en cas de crise, de conflit, d’agression, la grande société sait se mettre aux abris et projeter au front le troufion anonyme.
Dans un monde idéal où fraternisent les peuples, où la vie humaine prime sur les idéologies et les intérêts sournois, on pourrait volontiers adhérer à l’anti-militarisme de Brassens ou au pacifisme de Giono, mais sur le chemin de sa sagesse, l’homme s’avance d’un pas lent…quand il ne recule pas.
Plus jamais ça…
Au lendemain de la Grand Guerre, qui succédait à la guerre franco-prussienne de 1870, chacun pensait que l’ogre de la discorde était repu d’un tel sacrifice et que la paix, enfin, était acquise.
La signature de l’armistice, le 11 novembre 1918, fit suite à l’abdication de l’Empereur Guillaume II, et à la proclamation de la république d’Allemagne.
Le 30 janvier 1933, par les voies parlementaires légales, Adolph Hitler devint chancelier dans un contexte économique et social délétère; la population allemande, accablée par sa dette de guerre et la crise financière ne voyait son salut qu’en la personne de l’homme providentiel, dirigiste et nationaliste.
La République de Weimar n’aura vécu que 14 ans et le Troisième Reich qui l’enterre, institutionnalise l’horreur et la terreur au nom de l’aryanisme, à la satisfaction de la grande société, toujours opportuniste.

Fernand Borgne, saumanois, républicain actif, a pris part à 2 guerres: la première comme soldat mobilisé, la seconde comme civil, résistant.
Né en 1889, classe 1909, il rejoint le 61ème régiment d’infanterie le 3 août 1914; il vient d’être papa 3 mois avant.
Blessé à 2 reprises lors du premier conflit, il restera mobilisé jusqu’à la fin des hostilités.
Sur son registre matricule est inscrit : « Brave soldat qui a toujours fait son devoir. »
Voici la lettre que son camarade Claude, amitié de soldat, lui envoie le 18 juin (sans précision de l’année, il est permis de penser que c’est 1917)

Cher Borgne,
Quand j’ai reçu ta lettre, justement je m’occupais de savoir où tu étais pour renseigner ta brave femme – veinard va –
Hélas j’ai quitté la mitraille le jour de l’attaque.
J’ai participé à tout ; je suis vivant je ne sais pas comment.
Il y a 68% de perte au régiment; Reynal est tué, tous les collègues morts, blessés ou prisonniers.
Là, ça a été un affreux carnage; j’ai traversé le canal de l’Oise à la nage, les passerelles étant toutes sautées car on a battu en retraite.
Le capitaine Dumas des mitrailleurs (…) et le sergent, ton camarade ancien des grenadiers, prisonniers.
Les autres de mon escouade, tués.
Moi et Vanderrassier nous sommes les deux seuls vivants.
Nous sommes toujours en légère, en soutien sous des pommiers dans un champ sans abri sous le bombardement.
Nous attendons la relève.
On ne mange qu’une fois par jour.
Je te quitte, je suis exténué de fatigue.
Écris-moi souvent – ton fidèle qui pense à toi.


Entre eux, les combattants témoignent d’une réalité crue qu’ils masquent lorsqu’ils s’adressent à leurs proches.
Voici la lettre que Fernand adresse à son épouse le 22 janvier (là encore, non daté, probablement 1918, peut-être 1919; la démobilisation n’est achevée que le 14 juin 1920) :

Laval le 22 janvier,
Ma très chère Blanche,
Comme hier je n’ai pas écrit, je viens aujourd’hui, par la pensée, m’entretenir un instant avec toi,
J’ai reçu ta bonne lettre du 17 me faisant savoir que vous êtes tous en bonne santé, aussi, c’est avec un grand plaisir que je peux m’en rendre compte; quant à moi je me porte toujours très bien.
D’après ce qu’on m’a dit hier, le régiment ne tardera pas à partir d’ici, mais pas pour Verdun vu que tout est démoli; ça serait pour Commercy. J’espère bien, avant qu’il parte, moi ne plus être ici si mon certificat arrive.
Tu me demandes si je veux quelque chose à manger, tu peux si tu veux, m’envoyer un saucisson, cela me servira pour manger un bout de pain entre les repas, sur le long du voyage, si je viens bientôt; pas autre chose, car vous en avez plus besoin que moi.
Cette nuit, il a fait un temps épouvantable. Il est tombé de l’eau jusqu’au matin, en plus il faisait un vent à ne pas pouvoir rester dehors; ce matin pour finir, il s’est mis à tomber de la neige, mais elle n’est pas restée. Je crois que cela va faire venir le froid, ce qui serait préférable que cette boue, car depuis que je suis ici, on n’a pas eu un jour les pieds secs.
Surement que Paul ne va pas tarder à venir, car hier j’ai causé avec de types de la classe 97 qui comptent partir aujourd’hui, et lui marchant avec la classe 95 son tour doit être arrivé.
Ne voyant plus grand chose à te raconter pour cette fois, je vais finir en vous embrassant tous du fond du cœur.
Bien des caresses à ma gentille Paulette.
Ton mari tout dévoué pour toujours.

Fernand Borgne décèdera début 1949 à 59 ans des suites de sa déportation et des tortures qu’il a enduré.
La fille de Blanche et Fernand, Paulette, ainsi que son époux Henri Fournier ont été reconnus « justes parmi les nations » par le Comité Français pour Yad Vashem.
Les plus jeunes de leurs enfants n’ont pas connu de guerre sur le territoire national; leurs petits-enfants et arrière petits-enfants vivent dans la paix: une paix bousculée tant la guerre prend de nouvelles formes, mais, même bancale, c’est encore la paix…

Nous sommes réunis pour honorer la mémoire de ceux qui, quel que soit leur camp, affrontèrent l’enfer d’un monde déshumanisé…
Plus jamais ça … et cependant autour de nous, c’est encore et toujours ça…
Restons humanistes, et veillons à ce que le pire ne se mette à l’œuvre, car il n’est jamais très loin.

Dominique CASTAN, Conseillère Municipale